par Heidi FORTUNÉ Magistrat, Juge d’Instruction Cap-Haitien, Haïti
Aujourd’hui, nous faisons le constat d’une justice qui n’en finit plus d’aller mal…une justice boiteuse et déjantée qui, faute d’évolution, reste à rebâtir, pour qu’elle puisse tenir la place qui devrait être la sienne. En vérité, si cela était possible, il faudrait une dissolution pure et simple de l’institution judiciaire, tant le mal qui la ronge est profond. L’actuel gouvernement semble ne pas trop s’intéresser à soigner de sitôt cette blessure ouverte. Et le fondement de notre argument est formulé avec concision. Certains comportements laissent entrevoir une perception tendant à soumettre encore davantage l’autorité judiciaire à l’Exécutif comme par le passé. Les Parlementaires font et défont à leur guise dans les Tribunaux en se détournant de leur véritable mission, tandis que les Chambres d’Instruction Criminelle manquent cruellement de moyens pour produire des enquêtes de qualité. Donner des possibilités à la Magistrature de manière à ce qu’elle produise des résultats devrait être un enjeu citoyen et non politicien.
Un régime où règne la confusion des pouvoirs ne porte pas le nom de Démocratie. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ne dispose-t-elle pas qu’un pays qui ne connait pas la séparation des pouvoirs n’a point de Constitution ? L’indépendance des pouvoirs doit permettre aux contrôles démocratiques d’opérer la non-ingérence permettant à chacun d’exercer ses compétences en toute impartialité. D’un autre côté, il n’est pas correct de s’acharner sur l’Exécutif et le Législatif comme les seuls responsables des malheurs de la Magistrature puisque les Juges concourent eux aussi à mettre la Justice dans ce piteux état. On ne peut exiger le respect que lorsqu’on est respectable.
Dans la Magistrature haïtienne, il y a des Saints et des démons malheureusement. Ceux-là qui sont réputés pour leur intégrité se comptent sur les seuls doigts d’une main. En ce qui a trait aux autres, quand ils ne sont pas de vils flagorneurs, ils sont corrompus et incompétents. Nous déplorons le comportement de certains Juges, utilisant leur fonction pour favoriser une catégorie plus qu’une autre. Les Juges doivent cesser de terroriser et d’humilier les justiciables, principalement les victimes qui regrettent souventes fois d’avoir recours au Tribunal pour régler un différend ou dénoncer une injustice…voyant leurs droits balayés d’un revers de main pour la seule couleur de leur peau ou pour n’avoir pas de solides finances.
Il n’y a aucune volonté de réduire cette néfaste culture de corruption qui est actuellement solidement installée et bien ancrée dans la Magistrature, notamment dans les Tribunaux de Paix et les Parquets. L’argent est roi, le puissant fait la loi et le Magistrat perçoit… C’est indigne. La Justice se vend aux plus offrants, parfois au su et au vu des dirigeants. Le plus indécent dans tout cela, les responsables d’écarts et de manquements ne sont pas punis par des mesures répressives ou coercitives. Il est de notoriété qu’en Haïti, les fautes graves sont sanctionnées par des promotions ou des mutations à des postes à l’étranger. Ridicule !
Certes, un Juge n’est pas Dieu ; il ne changera jamais le monde ni les gens mais il doit assumer ses responsabilités en tout et partout, et donner la mesure de son acte sans user ni abuser. Il doit être toujours en paix avec sa conscience. Il doit avoir la force de caractère pour dire non quand il le faut et sévir dans le cadre de la loi envers et contre tous quand c’est nécessaire…peu importe les conséquences. Appliquer les codes et les lois c’est tout ce que le citoyen demande. Quand certains Magistrats arrêteront de faire de la politique, les politiques cesseront de s’occuper d’eux. La Justice doit être rendue à tout individu – noir – rouge – blanc – ou autre avec toute sa rigueur sur tout le territoire. Ne pas appliquer la loi correctement revient à l’injustice, l’anarchie et un jour, à la révolte. DocHait/18 janvier 2012