L’AFFAIRE DOMINICAINE

Au-delà de la fierté haïtienne, un devoir de mémoire !
par Yves Placide

Depuis des années, Haïti est confronté à un spectre destructif et déconcertant. Il est vrai que l’homme est un loup pour l’homme et que l’argent et le pouvoir sont les pires ennemis de l’homme. Le pouvoir a permis aux duvaliéristes de vendre les plus démunis des Haïtiens. Ceux-ci étaient embarqués dans un camion qu’on appelait « chaland » en retour d’une ristourne annuelle par le pouvoir dominicain, et d’autres de nos frères, à la recherche une vie meilleure, de leur plein gré, se sauvaient via la frontière haitiano-dominicaine pour les plantations de cannes. Cet exode des Haïtiens vers la République dominicaine remonte à la période de l’occupation américaine de l’île d’Hispaniola en 1915. Près de cents ans plus tard, on commence à ressentir les commotions de cette entente et de cette escalade. Ces envoyés de force et ces voyageurs clandestins ont subi toutes sortes de vexation.

L’histoire ne peut se répéter. En 1937, le dictateur dominicain Trujillo fait massacrer 10 000 travailleurs haïtiens à côté de la ville de Dajabon, près de la rivière Massacre, fleuve frontalier, qui tire son nom de ce terrible évènement sanguinaire. Autour des années 80, depuis, la situation dans les bateys a fait couler beaucoup d’encre et mobiliser plus d’un pour dénoncer les conditions inhumaines vécues par les Haïtiens qui vivent en République dominicaine. Aujourd’hui le peuple haïtien est arrivé à la croisée des chemins, car les dominicains ont dépassé la limite de l’inacceptable envers un être humain. J’entendais parler et lire dans mon histoire ce qu’était la période esclavagiste, mais aujourd’hui, au XXIe siècle, ce que je vois sur Facebook et les autres médias dépasse l’inacceptable. Je ne suis pas de ceux qui aiment critiquer un gouvernement, car chez l’Haïtien, c’est viscéral de critiquer. Tous les adversaires et ceux qui possèdent un micro se donnent à cœur joie, connaissant la culture défaitiste du peuple en mettant de l’huile sur le feu pour le soulever. De président en président, un très petit nombre arrive à terminer leur mandat, et l’un ne fait pas mieux que son prédécesseur. Certains leaders de la radio tant en Haïti qu’à Montréal et un peu partout dans le monde se lient dans une lutte sans merci en proclamant inacceptables les bévues des gouvernements et de ce fait demande sa tête. Le jour que mon peuple apprenne à respecter le mandat d’un président en mettant le pays avant leur lutte intestinale de pouvoir, dans un jeu de ôte-toi que je m’y mets, le pays trouvera un semblant de démocratie. Les critiques destructifs détruisent. Et oui, pour tout vous dire, je crois à la liberté d’expression.

Mais aujourd’hui je dois monter la voix et demander au peuple haïtien de lever le nez et démontrer que nous sommes non seulement un peuple fier, mais que nous n’avons pas oublié notre passé. Le gouvernement Martelly a manqué le bateau mais monsieur Moise semble n’accorder aucune importance à la situation des Haïtiens en République Dominicaine, et manque de rigueur dans sa politique extérieure, surtout envers St-Domingue, car se laisser traiter de la sorte par un pays voisin qui soit disant nous a tendu la main lors du tremblement de terre est inacceptable.

J’ai pris le pouls de mes compatriotes dans les salons de coiffure et les marchés haïtiens ; 99% des répondants sont prêts à investir un montant mensuel pour venir en aide à ceux que Saint-Domingue veulent faire des apatrides. « Il faut non seulement boycotter tous les produits dominicains, il faut fermer la frontière ne laissant entrer ni dominicain et ne laissant traverser aucun haïtien de manière illégale et de plus il faut également expulser les illégaux dominicains sur la terre de Dessalines » a dit un répondant.

Un autre rapporte : « Ce qui m’a le plus indigné, j’ai vu une vidéo montrant un dominicain noir exigeant d’un Haïtien nu de mettre son bras sur une roche pour le lui couper et une autre, où l’Haïtien était attaché dans un arbre suppliant le dominicain de lui couper les membres au lieu de la tête.», « De surcroit, ces faits étaient filmés » renchérit un autre répondant. Un s’est demandé : « Pourquoi le gouvernement n’essaie pas de mettre fin à ce carnage ? Le bras coupé, le pauvre gars s’est empressé de prendre la poudre d’escampette dans les mornes comme un chimpanzé se tenant le coude. Il mourra à coup sûr d’une hémorragie. », « Je commence à comprendre l’esprit de révolte et la cause qui engendre ce comportement » commente le répondant no 3. D’autres poursuivent : « Comment comprenez-vous que des êtres vivants puissent être traités de la sorte dans l’époque où nous vivons ? », « Ici au Canada, maltraiter un animal est punissable, et lorsqu’on voit des Dominicains qui massacrent des Haïtiens avec des machettes et cela depuis plusieurs mois sans que le gouvernement ne lève le petit doigt pour faire cesser ses tueries, on a droit à se demander où est la communauté internationale ? ». Où sont ceux qui veillent sur les méfaits ? Haïti ne mérite-t-elle pas ces considérations ? Les Hutus et les Tutsis se sont massacrés avec l’aide et sous les regards des puissances. Je sais que la frontière sépare les deux pays, mais quelle frontière ? Le président Moise et le peuple haïtien ont la balle dans leur camp. À nous de nous relever la tête.

Je crois qu’un fonds de solidarité pour la réhabilitation des rescapés de St-Domingue est de mise. Ainsi nous pourrons nous regarder en face et dire que nous avons agi. Nous avons également des terrains pour la plantation de cannes, ils ont l’expertise, donnons-leur des terrains à aménager, ainsi ils seront maîtres chez eux en cultivant leur propre terre. Est-ce que la solution est aussi simple ? Les leaders de la communauté, les leaders de micro et de l’écriture, à vous de jouer !